Je me rassure aussi lorsque je reçois une lettre comme celle-ci :
Kerbasquin, Poullan sur mer, mars 2013
Cher Monsieur Bescond,
Il y a toujours quelque chose d’une bouteille à la mer dans un livre. Lancé, parfois au hasard, au gré d’un courant violent, ou échoué sur une plage, au milieu d’objets hétéroclites, mais non pas ennemis. En tout cas, jamais abandonné à l’indifférence. Ainsi des Livres poétiques de la Bible, texte retrouvé à l’instant au milieu d’autres papiers, colis non ouvert, qui m’attendait à Kerbasquin, apporté là sans doute par la main amie d’Hervé Kerivel, en attente.
L’émotion intacte malgré le temps (un an et demi si j’en crois la date de votre lettre) à lire ces textes puissants et simples que vous avez traduits, puisque c’est de traduction qu’il s’agit, de tirer ces textes de leur gangue ancienne et les faire résonner dans nos jours.
Commencé par les Cantiques, sans doute parce que le plus célèbre de ces textes, sa fraîcheur « fleur bleue » et son art du superlatif tout oriental, et quel dialogue, entre « lui » et « elle », et comme dans les textes soufis (parce que la racine est identique) l’élévation vers Dieu, c'est-à-dire l’ « Adoration ».
Terminé par le livre de Job, peut-être le plus actuel, le plus émouvant, comme un seul acte shakespearien, sans doute parce qu’il était le plus cher à un ami très cher, le poète Jean Grosjean, qui naguère le transcrivit en roman. Ce qui m’apparaît alors, sans doute grâce à votre graphie : texte en colonnes, simplicité du vocabulaire, actualité des sentiments et des sensations, gommage de l’érudition (pratique aussi de Grosjean), c’est la proximité de l’universelle sagesse, qui n’est pas au-dessus de l’homme mais à sa portée, et pour ainsi dire en sa chair, telle qu’elle est donnée par exemple par Matsuo Basho, puisque la mort est dans la vie et que rien n’appartient à l’homme :
Ce sont tes propres mains
Qui m’ont façonné.
Elles m’ont fait comme je suis…
Et tu me détruirais ! (Job 10 :8)
J’aime que votre texte soit abrupt, sans préliminaires ni référence, parce que c’est ainsi qu’il est venu jusqu’à nous, franchissant nos abîmes de guerres, de reniement, de violences, d’égoïsme, et que sa grâce est intacte. J’aimerais qu’il soit au format de ces petits livres qu’on emportait jadis en viatique, comme le Marc Aurèle des soldats de Valmy, l’ancien testament que reçut David Balfour avant de partir à la conquête de sa propre fortune, ou l' « Imitation » que mon père avait gardée avec lui toute sa vie sur les chemins infinis de Banso au Cameroun. C’est peut-être ainsi que nous nous rejoignons !
Vôtre, bien admirativement
Courrier posté le 9 avril à Albuquerque, Nouveau-Mexique. La citation est extraite des Livres Poétiques de la Bible en vers.