Soit ! Si tous ces authentiques et fidèles messagers des Écrits nous content si évidemment le cheminement de la Bonne Nouvelle, comment se fait-il qu’il y ait tant de traductions exprimant sous des formes si diverses ce qui était si simplement dit ? Je compris alors que la matière divine était là certes, mais que c’était à nous qu’il appartenait de la façonner de la manière qui soit à la fois la plus véridique et la plus compréhensible de tous, de la modeler et de la remodeler sans cesse pour de nouvelles oreilles.
Ma traduction est essentiellement basée sur la TOB, ne serait-ce que parce que dans TOB il y a « œcuménique » (Traduction Œcuménique de la Bible). L’éminence des exégètes qui, après un véritable « travail de bénédictins », se sont accordés sur cette version, me paraissait suffisamment fiable pour que je décide de m’en servir comme base en toute confiance.
Cependant, tout étant affaire de nuances, et le diable se nichant même dans les détails, dit-on, je ne pouvais me défaire d’un étrange sentiment d’insatisfaction devant certaines formulations, les unes me paraissant démodées, les autres inappropriées, voire inexactes. Il me fallait donc consulter d’autres versions, comparer, trancher et construire finalement mon propre texte.
Je me suis, par exemple, longuement interrogé devant ce verset de Matthieu 5 :39 qui, selon bien des versions, nous incite à « ne pas résister au mal » :
- Et moi, je vous dis de ne pas résister au méchant. (TOB et Bible de Louis Segond)
- Eh bien, moi, je vous dis ne pas tenir tête au méchant. (Bible de Jérusalem)
- Ne résiste pas au mal. (Bayard)
- That ye resist not evil (Que vous ne résistiez pas au mal : King James Version)
- Do not resist an evil person (Ne résistez pas au méchant : New international version)
Devant une si belle unanimité fallait-il s’incliner ? Comment ? Ne pas résister au mal ou au méchant ? Il y a là nécessairement un problème. Mes illustres prédécesseurs n’ont-ils pas « maltraité », dans le verset en question, le verbe Ανθιστημι (Anthistémi) ?
Ce mot, en effet, signifie d’abord, étymologiquement, « se tenir en face » « affronter », et donc « répondre » : ce qui, face à celui qui vous veut du mal, est une réaction naturelle, bien humaine. C’est pourquoi ma traduction est « ne réponds pas », sous-entendu : comme tu serais tenté de le faire instinctivement. Inutile de l’affronter, de le provoquer.
Alors, d’où vient l’erreur ? Sans doute de l’excellent St Jérôme qui, au quatrième siècle, s’est attelé à la traduction en bon latin des manuscrits grecs, car il traduit notre Anthistémi par « resistere ». Connaissant l’influence de l’un des plus illustres Pères de l’Église, nous ne sommes pas étonnés que son « erreur » ait subsisté dans les traductions qui ont suivi.
Mais St Jérôme était-il infaillible ? S’il ne l’était pas, il ne nous est pas interdit d’essayer d’en faire une autre lecture avec un esprit critique… sans être iconoclastes. C’est même un devoir de tenter de faire la lumière sur une version paraissant insatisfaisante.
Reprenons les versets 38 et 39 et découpons-les en trois parties :